Alors que les dirigeants du monde entier se réunissent à l’occasion de la Semaine du climat de New York à partir du 22 septembre, ils devront affronter une vérité désormais incontournable : même si toutes les émissions de gaz à effet de serre cessaient aujourd’hui, la planète resterait engagée sur une trajectoire dépassant les +2°C, en raison de l’empreinte irréversible des émissions passées, ainsi que l’ont récemment démontré James Hansen et ses collègues. L’adaptation au changement climatique n’est donc plus une option : elle est devenue une nécessité universelle, et plus encore pour les pays en développement. Dans ce contexte préoccupant, les financements pour l’adaptation demeurent fragmentés, insuffisants et mal alignés avec les besoins des plus vulnérables. Né sur le sol africain, le Mécanisme des Bénéfices d’Adaptation (MBA) propose une alternative crédible — qui valorise les résultats, plutôt que les discours, et permet à celles et ceux qui sont en première ligne de définir, conduire et bénéficier directement de leurs efforts d’adaptation.
En Afrique, s’adapter au changement climatique n’est pas seulement une question de survie, c’est le nouveau front où le financement climatique mondial doit être repensé. Tandis que l’adaptation continue d’être traitée comme la petite sœur voire le parent pauvre de l’atténuation (elle représente moins de 7% des financements climatiques) l’Afrique, elle, possède à la fois l’urgence et la vision nécessaires pour tracer une autre voie.
Et si, au lieu d’être la dernière à accéder aux fonds climatiques, l’Afrique montrait au monde comment faire de l’adaptation un levier de prospérité, de résilience et de croissance inclusive ?
De l’idée à un instrument de mise en œuvre
Lancé en 2019 par la Banque africaine de développement (BAD), le Mécanisme des Bénéfices d’Adaptation (MBA plus connu sous son acronyme anglais “ABM – Adaptation Benefits Mecchanism”) a été conçu pour mobiliser des financements fondés sur les résultats en matière d’adaptation. Il est depuis considéré comme un modèle pionnier de financement de l’adaptation fondé sur les résultats, la transparence, la crédibilité et l’appropriation locale.
Plus tôt cette année, le MBA est devenu la première approche non marchande officiellement enregistrée au titre de l’Article 6.8 de l’Accord de Paris, une reconnaissance de sa valeur stratégique dans l’évolution du paysage du financement climatique.
Pourquoi, en tant que co-président de son comité exécutif, suis-je enthousiaste à ce sujet ? Parce que le MBA démontre qu’avec une fraction seulement des fonds alloués à l’atténuation via les marchés carbone, l’adaptation peut elle aussi devenir mesurable, traçable et finançable à grande échelle avec des retours sur investissements importants et tangibles. Il montre aussi que les communautés locales peuvent être au cœur du dispositif.
Donner de la valeur à ce qui compte
Contrairement à l’atténuation, facilement quantifiable via les réductions d’émissions, l’adaptation a longtemps manqué d’une unité de valeur équivalente. Le MBA a comblé ce vide en introduisant le Bénéfice d’Adaptation Certifié (BAC) : un résultat d’adaptation mesurable, vérifiable et approuvé par le pays hôte.
Le mécanisme n’est pas à proprement parler une source de financement. Il permet plutôt aux acteurs du climat d’investir dans des résultats d’adaptation certifiés, fondés sur la transparence, la redevabilité et l’impact. Il renforce l’ambition, réduit les risques pour les investissements précoces et incite le secteur privé à s’engager, tout en garantissant que les bénéfices réels parviennent aux communautés les plus vulnérables.
La phase pilote du MBA a déjà démontré la viabilité du concept à travers des projets concrets et des méthodologies initiales, suscitant un fort intérêt de la part des gouvernements, banques de développement et acteurs privés. Le MBA n’a pas été conçu pour rester à petite échelle : il a été pensé pour grandir et les conditions de cette montée en puissance sont désormais réunies.
Un continuum de financement
La force du MBA réside autant dans sa logique que dans sa flexibilité. Dès le départ, son cycle de projet a été conçu autour d’un modèle prospectif, aujourd’hui appelé le modèle “ex-ante”, qui permet aux porteurs de projets d’accéder à un capital initial via un Accord de Fourniture de Bénéfices d’Adaptation (AFBA). Ce mécanisme aide à réduire les risques liés aux premières étapes de mise en œuvre et à mobiliser des cofinancements privés.
Par la suite, un modèle complémentaire dit “ex-post” a vu le jour : il certifie les résultats après la mise en œuvre et génère des BAC qui peuvent être monétisés pour soutenir la réplication ou la réinjection de capital. Cela introduit un cercle vertueux d’investissement, dans lequel les résultats d’adaptation ne sont pas financés une seule fois, mais deviennent des leviers pour l’extension à plus grande échelle. Ensemble, ces deux modalités créent un continuum alliant crédibilité et continuité : l’un permettant d’être prêt, l’autre assurant la durabilité.
Une illustration éloquente est le projet pilote SLAMDAM dans le quartier d’Omojuwa, sur le territoire du gouvernement local de Kosofe à Lagos, au Nigéria. Là, un système de barrières mobiles remplies d’eau a été déployé dans le cadre du projet pilote du MBA afin de protéger plus de 5 000 habitants, 50 petites entreprises, six écoles primaires, un orphelinat pour enfants abandonnés, ainsi que des infrastructures critiques. Grâce au financement “ex-ante”, les bénéfices anticipés tels que la protection des infrastructures et le maintien de l’accès ont permis le déblocage rapide du capital initial. Désormais, une vérification “ex-post” des bénéfices réels est en cours, afin de démontrer l’efficacité du dispositif et sa capacité à être reproduit à plus grande échelle.
Local, évolutif et stratégique
La véritable promesse du MBA réside dans son utilisation programmatique à l’échelle infranationale. Les collectivités locales et les organisations communautaires peuvent agréger des portefeuilles d’activités d’adaptation (agriculture résiliente, solutions fondées sur la nature, systèmes d’alerte précoce, etc.) sous un même cadre méthodologique.
Ces portefeuilles locaux peuvent s’aligner sur les Plans Nationaux d’Adaptation (PNA) et les Contributions Déterminées au niveau National (CDN), et devenir des composantes clés des plateformes nationales qui canalisent les financements climatiques jusqu’aux bénéficiaires finaux.
Le MBA devient ainsi bien plus qu’un mécanisme : il se transforme en une véritable plateforme de mise en œuvre, évolutive, modulaire, et ancrée dans l’action locale.
Né sur le sol africain
Issu du continent africain, le MBA bouscule les dynamiques habituelles du financement climatique en redonnant la main à ceux qui sont les plus exposés. Il démontre que les acteurs innovent sans complexe sur le continent, concevant des mécanismes dignes d’adoption à l’échelle mondiale.
L’Afrique est en première ligne face aux vulnérabilités climatiques, mais trop souvent en dernière position quand il s’agit de distribuer les financements. Le MBA constitue un modèle crédible, né sur le sol africain, pour inverser cette tendance, un modèle qui valorise les savoirs locaux, renforce les institutions et crée des synergies public–privé, tout en favorisant l’autonomisation plutôt que la dépendance.
Pour les gouvernements africains, le MBA peut devenir un levier stratégique pour opérationnaliser les PNA et les CDN, tout en renforçant le rôle des acteurs infranationaux. Pour l’ensemble du Sud global, il offre un cadre reproductible alliant ambition, redevabilité et souveraineté d’action.
De la fragmentation à la cohérence
L’un des obstacles persistants au financement de l’adaptation est sa fragmentation. Trop d’initiatives restent isolées, dictées par les bailleurs, et déconnectées des stratégies nationales et des priorités locales. Le MBA propose une alternative convaincante : des trajectoires structurées, vérifiables et modulables pour produire de l’impact. Le passage à l’échelle du MBA nécessitera des méthodologies crédibles, un soutien institutionnel affirmé, et un environnement propice. Mais les fondations d’une nouvelle architecture pour le financement de l’adaptation sont déjà en place.
Si l’adaptation continue d’être perçue uniquement comme un coût, l’Afrique restera reléguée au second plan. Mais si le monde accepte de s’inspirer des innovations africaines comme le Mécanisme des Bénéfices d’Adaptation, alors l’adaptation pourra devenir le véritable terrain de refonte du financement climatique.
Et maintenant ?
La vraie question n’est plus de savoir si l’Afrique est prête.
C’est de savoir avec quelle audace elle choisira de montrer la voie — et si le reste du monde aura la sagesse de la suivre.
Par Luc Gnacadja