(30 recommandations désormais conformes au Bénin, selon le président de la CENTIF)
Depuis l’évaluation de 2021 par le GIABA, le Bénin a multiplié les réformes pour renforcer son dispositif de Lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LBC/FT). Avec 30 recommandations désormais jugées conformes ou largement conformes, le pays se positionne comme un acteur engagé en Afrique de l’Ouest. Dans cet entretien exclusif, Abdou Rafiou Bello, président de la CENTIF-Bénin, revient sur les progrès réalisés, les défis à relever et les perspectives à l’approche de l’évaluation de 2027.
L’économiste du Bénin : Quelle est la mission principale de la CENTIF Bénin et comment s’inscrit-elle dans le dispositif national de LBC/FT
Abdou Rafiou Bello : La CENTIF a pour mission principale la collecte, le traitement et la production de l’information, en vue de la Lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et de la prolifération des armes de destruction massive (LBC/FTP), ainsi que les infractions sous-jacentes associées telles que la corruption, le trafic illicite de médicament, de drogue, la contrebande, etc.
A cet effet, la CENTIF reçoit des informations des institutions assujetties à la loi notamment, les banques, les assurances, les institutions de microfinance, les sociétés de gestion et d’intermédiation, les professionnels du chiffre et du droit, les sociétés de jeu, les concessionnaires de véhicules et j’en passe. Aucun secret professionnel n’est opposable à la CENTIF qui dispose dans le cadre de sa mission, d’un droit de communication élargie sur toutes les données y compris celles produites par les administrations publiques.
Les informations reçues par la CENTIF sont documentées, enrichies, et partagées s’il y a lieu, avec les autorités administratives ou judiciaires notamment le Procureur spécial de la CRIET qui a l’obligation de lancer des poursuites contre les personnes et structures épinglées.
La CENTIF se positionne ainsi au centre du dispositif national de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme et travaille en synergie avec tous les autres acteurs de la lutte.
Comment la CENTIF Bénin collabore-t-elle avec le GIABA, et quelles sont les principales évolutions observées depuis le début de cette coopération ?
Le GIABA, Groupe Intergouvernemental de lutte contre le Blanchiment d’Argent en Afrique de l’Ouest (GIABA), est une institution spécialisée de la CEDEAO chargée de coordonner et de promouvoir la lutte contre le blanchiment d’argent dans la sous-région. A ce titre le GIABA procure de l’assistance technique et évalue périodiquement le dispositif national de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme et de la prolifération des armes de destruction massive.
Le GIABA assiste le Bénin dans la mise en conformité de son dispositif aux normes internationales, grâce à plusieurs actions réalisées en s’appuyant sur la CENTIF-Bénin qui est d’ailleurs son représentant national.
Depuis l’évaluation mutuelle du Bénin en 2021, la collaboration de la CENTIF avec le GIABA s’est renforcée notamment à travers un suivi régulier des progrès, matérialisé, entre autres, par l’analyse et l’adoption des rapports de suivi du Bénin aux Plénières du GIABA.
S’appuyant toujours sur la CENTIF, le GIABA a organisé ces dernières années plusieurs ateliers de renforcement de capacité au profit de la quasi-totalité des acteurs de la LBC/FTP au Bénin.
Quelles ont été les conclusions des précédentes évaluations du Bénin par le GIABA, et comment la CENTIF-Bénin se prépare-t-elle pour le rapport de suivi 2025-2026 ?
A la dernière Évaluation Mutuelle (EM), le Bénin a été jugé Conforme ou Largement Conforme (C/LC) à 21 recommandations sur 40 en raison des réformes engagées par le Gouvernement depuis 2016. En revanche, le dispositif national a été noté Non Conforme ou Partiellement Conforme (NC/PC) sur 19 recommandations. S’agissant de l’efficacité, c’est-à-dire l’application du dispositif de lutte, le Bénin a été jugé faible, ceci comme tous les pays de l’Afrique de l’Ouest et du Centre.
En application des processus et procédures du GIABA pour le deuxième cycle d’évaluation mutuelle, le Bénin a été placé sous le régime de suivi renforcé du GIABA, à charge pour lui de produire chaque année, un rapport de suivi sur la mise en œuvre des recommandations issues du rapport d’évaluation. Ainsi, grâce au leadership du Ministre de l’Economie et des Finances, le Bénin n’a pas été inscrit sur la liste grise du GAFI pendant que des pays comme le Sénégal, le Nigéria, le Mali, le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire n’ont pu y échapper. En effet, dès l’annonce des conclusions des travaux de l’évaluation, le Ministre d’Etat chargé de l’Economie et des Finances a, comme à son habitude, fait élaborer un plan d’actions ambitieux adopté en Conseil des Ministres et mobilisé les ressources nécessaires pour sa mise en œuvre. L’engagement fort du Gouvernement ainsi démontré, a été un des facteurs déterminants de la performance du Bénin.
Depuis 2022, le Bénin a continué d’améliorer son dispositif. Il a soumis quatre (4) rapports de suivi (RdS) et fait passer à trente (30) le nombre de Recommandations notées C/LC et réduisant à 10 les Recommandations partiellement conformes ou non conformes.
Actuellement, le pays se prépare à soumettre son 5ème RdS avec une demande de réévaluation sur plusieurs recommandations notées précédemment PC/NC ceci, sur le fondement des améliorations apportées au cadre juridique et institutionnel notamment la loi n° 2024-01 du 20 février 2024 relative à la Lutte contre le blanchiment, le financement du terrorisme et de la prolifération et l’arrêté n° 2025-1700c/MEF/DC/SGM/DGI/DLC/SLCI/SP/094SGG25 du 18 juin 2025 du Ministre d’Etat, Ministre de l’Economie et des Finances fixant les conditions et modalités d’identification, de déclaration et de contrôle des bénéficiaires effectifs des personnes morales et des constructions juridiques.
Comment la CENTIF s’organise-t-elle pour respecter le calendrier des cycles d’évaluation du GIABA ? et quels sont les défis rencontrés ?
La prochaine évaluation du Bénin pour le compte du troisième cycle des évaluations des pays du GIABA est prévue pour le mois d’août 2027. Contrairement aux éditions passées, le processus va porter sur une durée plus longue (six mois) et se focaliser sur l’efficacité technique c’est-à-dire, les résultats des actions menées en matière de LBC/FTP au cours des trois dernières années précédant l’évaluation.
Afin de réussir efficacement cet exercice, la CENTIF, sous la supervision du Comité National de Coordination des Activités de LBC/FTP (CNCA), a réalisé plusieurs évaluations sectorielles des risques de BC/FT notamment :
l’évaluation des risques de BC/FT du secteur immobilier ;
l’évaluation des risques du FT liés aux OBNL ;
l’évaluation des risques du FT du pays ;
l’évaluation des risques de BC/FT liés aux personnes morales, aux constructions juridiques et à leurs bénéficiaires effectifs ;
l’évaluation des risques de BC/FT liés aux actifs virtuels et aux prestataires de service d’actifs virtuels.
La CENTIF, toujours sous la supervision du CNCA, a procédé à la mise à jour de l’Évaluation Nationale des Risques (ENR) dont la dernière version date de juin 2018. Cette mise à jour, véritable diagnostic du dispositif national de LBC/FTP, a permis de déterminer le niveau actuel des risques, mesurer les vulnérabilités et menaces et proposer des mesures d’atténuation appropriées notamment : la mise aux normes de certains textes, la désignation d’autorités de contrôle résiduelles, des formations et sensibilisations ainsi que le renforcement de la supervision, des contrôles suivant l’approche fondée sur les risques.
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Les travaux aboutiront à l’élaboration du document de politiques et de stratégies de lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et de la prolifération 2025-2028 en cours de finalisation. L’ensemble de ces documents seront soumis à l’adoption du Conseil des Ministres.
C’est le lieu de remercier et de féliciter l’ensemble des parties prenantes du secteur public et privé qui ont sacrifié des nuits et des jours de travail pour l’élaboration desdits documents.
Nos remerciements vont également au Ministre d’Etat, Ministre de l’Economie et des Finances et à la GIZ pour le soutien logistique et financier.
S’agissant des défis à relever pour le bon déroulement de l’évaluation, il s’agira notamment de :
rendre disponibles les statistiques et les données pour une bonne appréciation de l’efficacité des actions menées ;
recouvrer et gérer efficacement les avoirs criminels qui doivent être confisqués afin de freiner les activités criminelles, supprimer l’incitation financière à commettre des crimes et épuiser les fonds de soutien aux groupes criminels ;
assurer le contrôle des établissements non financiers assujettis à la Loi (EPNFD) et des organismes à but non lucratif (OBNL) suivant l’approche fondée sur les risques et appliquer des sanctions adéquates aux cas de manquement aux obligations ;
mettre en place la liste nationale des sanctions et exécuter sans délai les décisions de gel qui en résultent, conformément à la Résolution 1373 du Conseil de Sécurité des Nations Unies et aux Recommandations 6 et 7 du GAFI.
Quelles actions concrètes ont été entreprises pour répondre aux recommandations du GIABA et comment leur mise en œuvre est-elle suivie et évaluée ?
Depuis l’adoption du dernier rapport d’évaluation mutuelle du Bénin, plusieurs actions et réformes ont été entreprises dans le sens de la mise en œuvre des recommandations du GIABA. Il s’agit, entre autres, de :
la restructuration du Comité Technique National (CTN) devenu Comité National de Coordination des Activités de lutte contre le BC/FTP (CNCA) pour y inclure toutes les parties prenantes pertinentes de la lutte et sa redynamisation. Le CNCA est désormais chargé de coordonner la politique nationale de lutte contre le blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme ;
la restructuration de l’Autorité de gel et de la Commission Consultative sur le Gel Administratif pour faciliter la mise en œuvre sans délai des sanctions financières ciblées à l’encontre des terroristes et des organisations terroristes et des personnes qui les soutiennent et ceci, en s’appuyant sur les résolutions pertinentes du Conseil de Sécurité des Nations Unies ;
l’adoption de la nouvelle loi relative à la LBC/FTP qui prend en compte et corrige la plupart des lacunes stratégiques relevées dans le rapport d’évaluation mutuelle de 2021. Il convient de signaler que le Bénin fait partie des tous premiers pays de l’UEMOA à adopter cette loi communautaire. Cela témoigne de l’engagement des Autorités en la matière ;
la désignation des autorités de contrôle et de supervision des secteurs des jeux et de l’immobilier rendues opérationnelles ;
la création et l’opérationnalisation de l’Agence Nationale de Recouvrement des Avoirs Confisqués et Saisis ;
la mise en place du registre des bénéficiaires effectifs du secteur immobilier ;
le renforcement de la capacité opérationnelle de la CENTIF par son relogement dans un cadre adéquat et conforme aux exigences des normes du GAFI, le renforcement de ses capacités techniques et opérationnelles (augmentation de l’effectif et la formation continue du personnel, le renforcement du système informatique, etc.)
Comment la CENTIF-Bénin envisage-t-elle son rôle au sein du dispositif régional de LBC/FT, et quelles sont les priorités stratégiques pour améliorer l’efficacité de la lutte contre les flux financiers illicites en Afrique de l’Ouest ?
La lutte contre le blanchiment de capitaux n’est efficace que lorsqu’elle est menée de façon coordonnée au plan national, régional ou international par les acteurs des États agissant en parfaite synergie. Dans notre sous-région, cette lutte s’inscrit dans un contexte de résurgence des crimes émergents tels que la cybercriminalité et les actions des groupes armés terroristes nourries par la criminalité organisée.
À cet égard, la CENTIF travaille à rendre plus efficace son dispositif de LBC/FTP pour plus d’impact. La CENTIF est membre fondatrice de la Task force des Cellules de renseignements financiers des pays du bassin du Lac Tchad et du Sahel. Elle a également adhéré à l’initiative de l’ONG United for Wildlife en vue de la lutte contre le commerce d’espèces sauvages.
La CENTIF continuera à coopérer avec les CRF des États membres de la CEDEAO et des autres États étrangers à travers les échanges d’informations, conformément aux recommandations du GAFI et aux accords de coopération signés avec ces pays.
Les priorités stratégiques pour les prochaines années consistent à renforcer les moyens d’actions de la CENTIF afin de traiter diligemment les alertes et les requêtes reçues des partenaires, redynamiser la coopération internationale, à travers la poursuite de la signature des accords de coopération, l’actualisation des accords existants pour les adapter aux besoins d’échange d’informations rapide et sécurisé. Pour ce faire, l’amélioration de la fluidité et le renforcement de la sécurité du système informatique paraît nécessaire.
Je profite de l’occasion pour saluer à nouveau la vision du Gouvernement en particulier du Ministre d’Etat, Ministre de l’Economie et des Finances qui a pris à bras le corps la question du relogement de la CENTIF. Aujourd’hui la CENTIF est relogée sur un nouveau site moderne et conforme aux normes internationales.
Comment la CENTIF mesure-t-elle l’impact de ses interventions sur l’économie nationale ? quels sont les axes prioritaires pour les prochaines années en matière de lutte contre les flux financiers illicites ?
L’impact des interventions de la CENTIF se mesurent à l’aune :
du niveau de compréhension des risques de blanchiment de capitaux, du financement terrorisme et de la prolifération très amélioré des assujettis. Aujourd’hui, les assujettis accomplissent de mieux en mieux leurs obligations de prévention, de détection et de déclaration de soupçon. Initialement confinée aux établissements bancaires, la liste des assujettis qui font des déclarations à la CENTIF s’est considérablement élargie.
du nombre de condamnations pour BC et de FT de plus en plus élevées et surtout des confiscations grâce aux actions de plus en plus efficaces des acteurs de la chaîne pénale ;
de la contribution à la mobilisation des ressources au profit de l’Etat.
Parlez- nous des perspectives et de vos conseils à la nation Béninoise ?
Après le relogement, le renforcement de l’efficacité de la CENTIF se poursuivra à travers la modernisation des outils, des actions de formation et sensibilisation des membres de la CENTIF et de l’ensemble de ses partenaires pour assurer une meilleure surveillance des opérations et la détection rapide des opérations suspectes. Un accent particulier sera mis sur la préparation de la prochaine évaluation du Bénin qui comme indiqué tantôt aura lieu en 2027.
Pour finir, je voudrais inviter la population à la vigilance face à la récurrence de certaines infractions liées aux BC /FT à savoir la cybercriminalité, la corruption, l’escroquerie avec l’appel public à l’épargne ainsi que tout acte en lien avec la radicalisation et l’enrôlement de jeunes aux fins de terrorisme et à alerter les autorités compétentes le cas échéant.
Entretien réalisé par Abdul Wahab ADO