Sous l’effet de coupes budgétaires répétées dans l’aide publique au développement française, l’Agence française de développement (AFD) engage une profonde transformation de son modèle d’intervention. En Afrique, cette réorientation se traduit par une baisse des dons, un recentrage sectoriel et une montée en puissance des prêts, suscitant de vives inquiétudes au sein de la société civile.
L’Afrique pourrait une nouvelle fois payer un lourd tribut en 2026 dans un contexte de contraction continue de l’Aide publique au développement (APD). Depuis plusieurs années, la politique française de solidarité internationale évolue sous la pression des arbitrages budgétaires, et la tendance semble désormais assumée. Après une réduction estimée à près de 2 milliards d’euros de l’APD en 2024, le gouvernement français prévoit une nouvelle coupe de 700 millions d’euros à l’horizon 2026, confirmant une trajectoire de repli. Pour mémoire, après une décennie de hausse progressive, marquée notamment par l’engagement d’atteindre 0,55 % du revenu national brut (RNB) consacré à l’APD, la France a amorcé un tournant à partir de 2023. Les contraintes liées au déficit public, à l’endettement et aux priorités nationales ont progressivement relégué l’aide au développement au rang des variables d’ajustement budgétaire. En quelques exercices, l’APD française est ainsi passée d’un outil stratégique de rayonnement international à un poste soumis à des réductions successives.
Dans ce contexte, l’Agence française de développement, principal bras opérationnel de l’APD, reconnaît elle-même des « évolutions significatives » de son activité, en particulier sur le continent africain, historiquement au cœur de ses interventions. L’adaptation engagée est d’abord financière. La part des dons a fortement reculé, ne représentant plus qu’environ 10 % des financements, tandis que les prêts deviennent l’instrument dominant. Or, cette évolution intervient alors que de nombreux pays africains font face à des niveaux d’endettement déjà préoccupants, parfois accentués par les chocs successifs liés à la pandémie, aux crises sécuritaires et à l’inflation mondiale. Pour ces États, l’accès à des financements essentiellement remboursables réduit la capacité à investir durablement dans les politiques sociales.
Parallèlement, l’AFD procède à un recentrage sectoriel marqué. Les domaines traditionnellement considérés comme prioritaires : santé, protection sociale, éducation et formation professionnelle, connaissent un retrait au profit de secteurs jugés plus structurants ou financièrement viables, tels que l’énergie, la gouvernance ou la gestion des migrations. Une orientation qui reflète une logique de plus en plus économique de l’aide au développement.
Cette transformation suscite de vives inquiétudes parmi les organisations non gouvernementales. Pour elles, la montée en puissance des prêts traduit une logique de rentabilité et de retour sur investissement incompatible avec la nature même des services sociaux essentiels. « La part de l’APD destinée à la santé, à la protection sociale et à l’éducation diminue, alors que ces secteurs ne sont pas conçus pour être rentables », analyse Mathieu Paris, chargé de plaidoyer Dette et APD au CCFD–Terre Solidaire.
Face à la contraction durable des ressources budgétaires, l’AFD explore désormais d’autres leviers, en se tournant vers l’Union européenne, les fondations philanthropiques et surtout les marchés financiers, qui constituent aujourd’hui la principale source de levée de fonds du groupe. Si cette stratégie permet de maintenir un certain niveau d’engagement, elle pose une question. L’aide au développement peut-elle encore répondre aux besoins sociaux fondamentaux lorsqu’elle est guidée avant tout par des impératifs financiers ? Il est important de résoudre ce préalable.
Par Bidossessi WANOU

