(« Se projeter… mais ancrés dans nos réalités », dixit Blaise Ahouantchédé)
La Banque Ouest africaine de Développement (BAOD) a organisé les 12 et 13 juin 2025, la première édition des « BOAD Development Days » sous le thème : le financement de la transition énergétique et de l’Agriculture durable : Défis, opportunités et solutions ». Présent aux échanges, Blaise Ahouantchédé, Président et Directeur Général de Afrik Créances, donne ses impressions sur cette initiative de la BOAD.
L’Économiste du Bénin : Quelles sont vos impressions sur cette initiative de la BOAD, qui semble s’aligner avec les objectifs d’Afrik Créances ?
PDG, Blaise Ahouantchédé : Je suis de très près l’évolution de notre région et du continent africain. Comme vous le savez, je suis également à l’origine de plusieurs initiatives, dont le FONI que nous avons organisé à Cotonou les 22 et 23 mai 2025. Cette première édition des BOAD Development Days marque un tournant : enfin, l’occasion de dire les choses telles qu’elles sont, en présence de l’ensemble des acteurs de l’écosystème qu’il s’agisse de la BOAD, de la BCEAO ou d’autres institutions clés. Vous avez suivi les interventions de nos ainés, j’ai bien apprécié l’intervention du président des agriculteurs.
Il est mieux de se projeter vers le futur mais il faut tenir compte des réalités. Nous n’avons pas les mêmes réalités. On ne peut pas avoir les TGV tout suite comme en Europe. Il faut faire un diagnostic interne endogène et proposer des solutions idoines. Le constat que le premier ministre du Bénin, Lionel Zinsou a fait, je le partage totalement parce qu’il faut des reformes adaptées à notre environnement, à notre système et à notre réalité pour pouvoir mieux accompagner le secteur privé, parce que c’est le moteur de la croissance. Je l’ai déjà exprimé lors de l’émission Zone Franche. On ne pourra pas construire nos pays si on ne prend pas en compte nos réalités endogènes. Il est crucial de mobiliser nos propres ressources, d’investir dans la jeunesse à travers l’éducation et la formation, et d’encourager l’entrepreneuriat féminin. Notre développement doit être porté par des financements intérieurs. C’est exactement ce qui a été dit ici, et j’en suis très heureux.
Votre message à l’endroit de tous les acteurs
Il faut se mettre ensemble, nous avons créé le FONI, on a plusieurs fora mais il va falloir qu’on se mette ensemble parce que les initiatives isolées ne marcheront pas et je l’ai indiqué lors du FONI 2025 à Cotonou. Il faut créer une alliance.
J’envisage de demander une audience au Président pour défendre cette vision. Aujourd’hui, nous avons une réelle opportunité de prendre notre destin en main. On ne peut pas attendre que cela vienne de l’étranger. Personne ne viendra construire l’Afrique à notre place.
À l’endroit des acteurs de l’écosystème, j’aimerais dire ceci : nous devons travailler en synergie pour que l’ensemble des énergies puisse servir à trouver des solutions efficaces au développement économique de nos pays.
Transcription : Abdul Wahab ADO
le constat de Lionel Zinsou
Lionel Zinsou, économiste de renom, banquier d’affaires aguerri et ancien Premier ministre du Bénin, a livré une keynote décisive lors des BOAD Development Days, à Lomé. Thème central de son intervention : « Financer le développement autrement ». Derrière cette formule, un diagnostic sans concession sur les carences structurelles du système financier ouest-africain, mais aussi une feuille de route pour sortir du piège d’un modèle devenu obsolète.
« Il faut sortir de notre zone de confort », a lancé Lionel Zinsou en ouverture, appelant à une révision radicale de l’écosystème financier de l’UEMOA, et plus largement du continent. Car derrière la façade flatteuse des indicateurs macroéconomiques –l’UEMOA a évité la récession pendant le Covid, fait rare dans le monde en développement – se cache un système structurellement inadapté à la transformation économique qu’exige l’avenir
Agriculture, logement, chaîne de valeur : les angles morts du financement
Prenant l’exemple du Bénin, Zinsou a rappelé que l’agriculture représente 28 % du PIB, mais n’attire que 2 % des crédits bancaires. « Un non-sens économique », selon lui, pour un secteur qui concentre le quart de la richesse nationale et l’essentiel de l’emploi.
Même constat pour le logement, secteur le plus financé au monde… sauf en Afrique, où il reste marginalisé. Pourtant, il est un puissant moteur de croissance inclusive, catalyseur d’emplois, d’urbanisation maîtrisée et de demande industrielle.
Mais le plus frappant demeure l’absence de financement de la chaîne de froid, pourtant essentielle pour valoriser les productions agricoles, sécuriser les stocks et développer des filières agroalimentaires compétitives. « Personne ne finance la chaîne de froid en Afrique », a-t-il martelé. Résultat : une perte colossale de valeur ajoutée, de compétitivité et d’autonomie alimentaire.
Un système à ré ancrer, une banque centrale à redéployer
Plus fondamentalement, Lionel Zinsou a posé une question dérangeante : » Le système financier est-il réellement au service de notre développement ? «
Sa réponse : non, tant que les centres de décision des grands groupes financiers africains restent basés hors du continent, dans des capitales éloignées des réalités sociales, agricoles et industrielles locales. Il appelle à une réappropriation régionale du pilotage financier : « Il faut des acteurs enracinés, sensibles aux spécificités locales, capables de lire les signaux faibles et de financer l’innovation dans nos propres économies. »
Il a également interpellé la BCEAO, dont le rôle de gardienne de la stabilité des prix doit, selon lui, évoluer : « L’inflation est aujourd’hui maîtrisée – en dessous de 3 % il est temps de faire de la croissance une priorité monétaire. » Autrement dit : ouvrir les vannes du crédit, ajuster les taux directeurs, et soutenir plus activement les leviers de l’investissement productif.
Le capital existe, mais dort
Zinsou a souligné que les actifs africains prennent de la valeur : foncier urbain, terres arables, résidus agricoles transformables en biomasse… autant d’actifs à fort potentiel ignorés par les circuits traditionnels de financement. Un hectare de manioc peut produire 7 tonnes, mais monte à 40 tonnes avec les technologies appropriées. Encore faut-il que les banques acceptent de financer cette montée en gamme.
Parallèlement, la transition démographique du continent devrait renforcer la base des actifs et donc l’épargne : moins d’inactifs, plus de classes moyennes, un potentiel d’épargne à canaliser. L’enjeu est de transformer cette force en capital patient et orienté vers les besoins stratégiques.
Dans cet écosystème figé, la BOAD fait figure d’éclaireur. Zinsou salue une institution « laboratoire d’innovations », citant en exemple son assurance agricole, ses expériences de titrisation, ou encore son augmentation de fonds propres pour démultiplier ses capacités de financement.